Brexit : une montée en compétence des agents certaine, mais des conditions de travail encore floues
Le groupe de travail portant sur le Brexit et le retour d’expérience de la mise en place des contrôles aux frontières avec le Royaume-Uni s’est réuni le 10 mars 2021 en visioconférence, sous la présidence de Nadine Richard-Prejus, adjointe du chef du SRH, accompagnée de Véronique Farjot, sous-directrice du développement professionnel et des relations sociales (SDDPRS), de son adjointe, Servane Gilliers-Van Reysel, et de Charles Martins-Ferreira, sous-directeur des affaires sanitaires européennes et internationales (SDASEI).
Pierre Clavel, ISST, a présenté le rapport Ergotec (voir le diaporama présenté en séance), relatif au suivi des conditions de travail des postes de contrôle Sivep-Brexit. Ce rapport, demandé dès 2019 par les ISST, a pour objectif de mettre en évidence les axes d’évolution de l’organisation du travail et de l’accompagnement des agents suite à la mise en place des contrôles liés au Brexit.
Depuis la mise en œuvre du Brexit, les postes de contrôle frontalier (PCF) reçoivent des lots en provenance du Royaume-Uni, dont 5 nouveaux : Calais port-tunnel (Hauts-de-France), Cherbourg, Caen-Ouistreham, Dieppe (Normandie), Roscoff (Bretagne).
En 2020, Ergotec était déjà intervenu pour étudier l’organisation du travail et des cycles sur les postes de contrôle Sivep-Brexit, en s’appuyant sur un groupe de travail opérationnel comprenant des représentants des postes de contrôles. Le résultat, en 2021, est un travail de suivi, volonté du ministère d’analyser et d’observer, dès la mise en œuvre des contrôles, l’organisation du travail et notamment les cycles de jour et de nuit.
Cette analyse de l’organisation a été réalisée selon plusieurs axes de travail :
Charge de travail
Début février, la volumétrie reste faible, très en deçà des prévisions, ce qui permet aux agents de monter progressivement en compétence. Selon Pierre Clavel, il ne faut pas tirer des conclusions trop hâtives. Malgré tout il y a des contraintes qui impactent considérablement la charge de travail, contraintes liées à la complexité du travail et aux non-conformités rencontrées lors du traitement des dossiers.
Les premières semaines, 90% des lots présentaient des non-conformités ; actuellement, on est revenu à un taux de 15%. À noter que le temps de traitement d’un lot non conforme va de 1 h à 5 h.
Le point positif, c’est la montée en compétence collective des agents, grâce à un flux faible.
La CFDT reste vigilante quant à la charge de travail de ces agents en poste frontalier au regard des rythmes de travail. Le nombre de lots à contrôler n’est pas un indicateur suffisant pour déterminer la charge de travail. Il faut intégrer le nombre de non-conformités, dont le temps de traitement est long, source de stress et de tensions avec les transitaires. Un suivi rapproché de l’évolution de ces indicateurs doit être mis en place.
Organisation du travail
En cette phase de démarrage, de nombreux dysfonctionnements ont pu être observés : retards de pré-notifications, tensions importantes lors de la gestion des non-conformités, absence des douanes et des commis sur place retardant les décisions sur les lots, camions ne trouvant pas le poste frontalier… Ces difficultés ont un impact sur les postes frontaliers avec une charge cognitive et psychique importante. Les questions de l’organisation des quais, de l’orientation des camions sur la zone des postes frontaliers, du rôle du transitaire dans l’interface entre les agents du poste frontalier et le chauffeur restent d’actualité.
Pour la CFDT, cette question de l’organisation du travail et de la gestion des flux doit être traitée rapidement. En effet, si actuellement la situation est sous contrôle en raison de flux très inférieurs aux prévisions, toute augmentation de ces flux pourrait entraîner des répercussions importantes sur le trafic de camions et de navettes entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les postes frontaliers, avec des arrivées de navettes toutes les 20 minutes et un espace d’attente pour les camions très restreint, seraient particulièrement impactés.
Cycles horaires
L’étude Ergotec relève que les cycles horaires sont bien perçus par les agents qui les ont choisis. Des possibilités de pauses et des avantages financiers constituent des facteurs d’acceptation de ces cycles, qui conviennent davantage à une population jeune. Cette vision a toutefois été nuancée par l’intervention d’un agent en poste, qui explique notamment que les agents attendent encore la rémunération des heures de nuit. L’administration indique que le paiement des heures de janvier interviendra sur la paye de mars ; par la suite, il restera mensualisé avec un décalage de deux mois.
Sur certains sites où le travail de nuit est moins important que celui de jour, les équipes de nuit préparent le travail du lendemain.
L’étude Ergotec met en évidence une difficulté à prendre des congés, en particulier pour une journée. À ce stade, les agents ne peuvent pas prendre moins d’une semaine de congé. À Boulogne, la planification individuelle, par cycle et non par équipes, complexifie la gestion des cycles.
Pour la CFDT, ces cycles de travail restent insatisfaisants pour les agents, notamment parce qu’on constate déjà une fatigue importante après seulement quelques mois d’application. Les conséquences de ces cycles sur la santé peuvent être importantes : effets négatifs sur la vigilance entraînant un risque accru d’accident de travail, risque de développement de TMS, de troubles du sommeil, d’obésité et d’autres pathologies. Dans ce contexte, la CFDT s’oppose au travail de nuit pour préparer le travail de jour. Elle demande qu’au regard de l’expérience acquise sur ces premiers mois de mise en place du Brexit, une réflexion approfondie soit menée afin de trouver la meilleure configuration pour réduire l’impact des cycles sur la santé des agents.
La CFDT rappelle que ces cycles ont été choisis par l’administration dans le but de réduire les effectifs nécessaires à l’ouverture des postes frontaliers 7/7j et 24/24h. L’ensemble des organisations syndicales ont voté contre les textes permettant leur mise en œuvre, en raison de leurs conséquences élevées sur la santé des agents.
En ce qui concerne les congés, la CFDT rappelle que l’administration s’était engagée à permettre la prise de congés par journée. Si c’est devenu impossible, c’est parce que les sept équipes prévues au départ par l’administration se sont réduites à cinq. La CFDT recommande donc de poser la demande de congé d’une journée par écrit, afin de pouvoir en tracer le refus. Elle se mobilisera afin que l’administration respecte ses engagements.
Effectifs
Les effectifs se montent à 466 ETP, répartis comme suit : 376 ETP pour l’import et 90 ETP pour l’export.
À l’import, les 376 ETP étaient jusqu’à présent sous un régime de contrats de 6 mois renouvelables. 271 doivent être renouvelés d’ici le 30 juin 2021 et 56 contrats se terminent au 31 décembre 2022. Le SRH précise que son objectif est de renouveler les contrats en les allongeant (durées de 1 à 2 ans), ce qui implique pour les agents concernés une période d’essai à renouveler. L’ancienneté de ces nouveaux contrats est cumulable avec celle des contrats précédents. Le dialogue de gestion déterminera en fin d’année les ressources nécessaires pour l’année 2022. À ce stade, même si les flux sont faibles, « il n’est pas prévu de ne pas renouveler les contrats des agents » [sic]. Les recrutements se poursuivent.
À l’export, le temps moyen estimé de certification d’un lot est de 40 minutes. Cette donnée est utilisée pour évaluer les effectifs par rapport au volume à traiter et les répartir. Il peut y avoir des contrôles supplémentaires pour aboutir à la certification. Ce temps fait toujours l’objet d’une réflexion ; il dépend forcément des marchandises à certifier mais également des règles à l’exportation qui seront définies par le Royaume-Uni.
La CFDT demande qu’un ratio par agent soit établi pour évaluer la charge de travail.
Pour la CFDT, le nombre d’agents titulaires sur les postes Brexit (30 agents) reste trop faible. Il est important de donner une perspective pérenne à ces agents et la possibilité de dérouler une carrière au MAA. L’allongement de la durée des contrats n’est pas une réponse suffisante. Le risque n’est pas négligeable de voir ces agents partir, emportant avec eux les compétences qu’ils ont acquises, faute de perspectives et d’une situation professionnelle pérenne, sans compter l’effet dissuasif des cycles horaires.
Conditions du travail
Dès le démarrage des contrôles, les locaux affectés aux agents du Brexit se sont révélés exigus ; ils ne permettent pas de respecter les règles de distanciation liées à la Covid-19, en particulier au moment du changement d’équipe ou pour l’accueil des transitaires. L’administration a dû réagir rapidement ; des travaux visant à augmenter les surfaces de travail (bureaux, zone d’accueil des transitaires…) sont en cours.
À ces problèmes de mètres carrés s’ajoutent des nuisances sonores importantes ; elles sont liées au grand nombre d’agents cohabitant dans ces locaux et aux travaux qui y sont effectués.
La CFDT rappelle que ce problème de surface de travail insuffisante avait déjà été signalé lors des instances précédentes. Elle déplore que les travaux, qui ajoutent le bruit à la liste des nombreux désagréments subis par les agents, n’aient pas été conduits avant la mise en œuvre du Brexit.
L’étude Ergotec met également en évidence des conditions de travail dégradées des manageurs : absence de bureau, multiplication des déplacements, amplitudes horaires importantes.
Duerp (document unique d’évaluation des risques professionnels)
Le Duerp a été mis à jour sur chacun des sites du Brexit en tenant compte des risques professionnels spécifiques à la réalisation des contrôles, à savoir le risque chimique, le risque routier, le travail de nuit…
Des fiches réflexes, reprenant ces risques et explicitant les mesures de prévention à mettre en œuvre, sont en cours de validation. Elles seront distribuées aux agents.
En ce qui concerne le risque chimique, il n’est pas le même que pour les conteneurs maritimes ; les agents sont donc équipés des EPI adaptés aux risques qui leur sont propres.
Médecine de prévention
Du fait du travail de nuit, une visite avant embauche est nécessaire pour l’ensemble des agents recrutés. La médecine de prévention et le suivi médical se mettent en place sur les postes frontaliers. Certains d’entre eux rencontrent des difficultés à trouver des médecins de prévention ; des solutions sont recherchées ou sont en cours de finalisation.
Pour la CFDT, la loi du 8 août 2016 ainsi que son décret d’application indiquent que les travailleurs de nuit bénéficient d’un suivi médical adapté, déterminé dans le cadre du protocole écrit élaboré par le médecin du travail, selon une périodicité qui n’excède pas une durée de trois ans (art. R. 4624-17 et R. 4624-18 du Code du travail). La CFDT a demandé à connaître la périodicité du suivi médical ainsi définie et n’a obtenu aucune réponse de l’administration. Cette question restée sans réponse sera à l’ordre du jour du prochain CHSCTM le 6 avril prochain. Il est en effet important pour les agents de bénéficier d’un suivi médical approprié au vu des cycles horaires choisis par le MAA.
Formation
L’Infoma a mis en place une formation à distance sous forme de « mallette » à l’attention des nouveaux recrutés, l’année 2020 n’ayant pas permis de mettre en place des formations en présentiel en raison du contexte sanitaire.
Le contexte sanitaire n’a également pas permis aux agents de se former sur d’autres sites. Sur certains sites, des échanges de pratiques ont pu être mis en place ou vont être mis en place, notamment dans les Hauts-de-France et en Normandie.
Pour la CFDT, la formation à distance n’est pas suffisante pour former les agents nouvellement recrutés. Il est important de développer les échanges de pratiques avec des inspecteurs plus expérimentés, même si c’est en visioconférence.