Juste avant le conseil des ministres du lundi 28 septembre, consacré au projet de loi de finances (PLF), Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a présenté aux organisations syndicales, en visioconférence, le PLF 2021 pour l’agriculture… Sans surprise, à la baisse !
Le ministre était accompagné de Benoît Bonaimé, directeur adjoint du nouveau cabinet, de Michel Lévêque, conseiller en charge de l’enseignement agricole et des relations sociales, de la secrétaire générale du MAA, Sophie Delaporte, et du secrétaire général adjoint, Philippe Mérillon.
La CFDT était représentée par Gisèle Bauland, Jacques Moinard, Philippe Hedrich, Géraldine Ruscassier, Laure Revel et Catherine Barbier.
Vous trouverez ci-après l’intervention de la CFDT, avec les propos du ministre lors de ce bref moment d’échange (1 h 20).
En introduction, le ministre, après avoir remercié très sincèrement tous les agents du ministère de l’Agriculture et des opérateurs du MAA pour leur engagement durant la période de crise que nous venons de vivre et qui n’est pas terminée, a présenté les principaux éléments du PLF.
Le ministre souligne que le ministère de l’Agriculture a obtenu un budget conséquent de 4,8 milliards d’euros pour 2021, stable par rapport à l’année 2020, auquel s’ajoutent 9 milliards de crédits européens et 7 milliards pour les dispositifs sociaux et fiscaux. Ce sont donc plus de 20 milliards d’euros pour mettre en œuvre les politiques du ministère auxquels viennent s’ajouter 1,2 milliards du plan de relance consacrés à l’agriculture, et des mesures transversales du plan de relance et de soutien à l’économie, dont notamment le financement des jeunes apprentis et des jeunes de moins de 25 ans.
Pour le ministre, ce budget conséquent doit répondre aux objectifs du ministère de l’Agriculture qu’il a déjà exprimés : souveraineté alimentaire et indépendance agroalimentaire.
Concernant les effectifs du ministère, le ministre a fait part des discussions difficiles avec le ministère du budget qui ont permis de ne pas aggraver la baisse initialement prévue : « maintien de la chronique actée il y a un an et demi ».
Sur le BOP 215, la baisse d’effectifs en 2021 sera de 123 ETP (−1,8 % hors transfert) par rapport à 2020 comme prévu dans la « chronique initiale ».
Sur le BOP 206, le ministre annonce le maintien des effectifs et une augmentation du budget de 5,2 %, par rapport à 2020. Ces effectifs pourront être augmentés au vu des conclusions des négociations concernant le Brexit. Il annonce également la création d’une force d’intervention nationale pour les abattoirs, composée de 6 agents contrôleurs qui pourront intervenir auprès des services d’inspection locaux à la demande des préfets ou de la DGAL.
Pour la CFDT, le PLF 2021 présenté pour le ministère et pour l’agriculture est, sans surprise, à la baisse, comme ces dernières années sous le signe des restrictions.
Monsieur le ministre, vous aviez annoncé, lors de notre entrevue du 14 septembre, que le gouvernement avait toujours pour objectif de maîtriser les dépenses publiques avec un budget 2021 scindé en deux volets :
— les missions et dépenses « classiques » de l’État, fonctionnement, prestations sociales, charge de la dette et maintien du cap défini, mais sans remise en cause du schéma prévisionnel des emplois du MAA visant la réduction du plafond d’emploi ;
— un second volet consacré au plan de relance.Dans le contexte unique et atypique de crise sanitaire et le souhait affiché par le président de la République de rompre avec le monde d’avant, la CFDT attendait plus d’ambition de la part du gouvernement, notamment pour rendre réellement efficace le plan de relance dont elle approuve en partie les axes de dépenses malgré aucun changement de paradigme annoncé. Mais la CFDT s’inquiète des moyens humains qui seront nécessaires pour le mettre en œuvre, alors que certaines missions peinent déjà à être couvertes.
En effet, ce plan de relance ne va pas se mettre en œuvre comme par magie. Une implication forte des services, donc des agents, qu’ils soient en administration centrale, en services déconcentrés, en établissements public et dans les EPLEFPA sera nécessaire, avec du temps et de l’énergie pour susciter, accompagner et pour sélectionner les meilleurs projets propres à répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux qu’appellent de leurs vœux nos concitoyennes et nos concitoyens.
Pour le ministre, ces crédits traduisent la vision qu’il porte pour l’agriculture, l’agroalimentaire, la forêt et l’aquaculture. L’objectif principal est la garantie de notre souveraineté alimentaire et de notre indépendance agroalimentaire, qui passent en particulier par une accélération de la transition agroécologique, une adaptation au changement climatique de notre agriculture et de notre forêt, un accès pour tous les citoyens à une alimentation saine, durable et locale.
Afin d’atteindre ces objectifs, deux lignes budgétaires sont ouvertes : une de 135 millions d’euros pour les agroéquipements et une de près de 200 millions pour le déploiement des circuits courts et locaux. Le ministère travaille actuellement sur le « Plan protéines » qui fera très prochainement l’objet d’annonces.
Le plan de relance est essentiel pour apporter le soutien nécessaire. Il est massif pour l’agriculture avec 1,2 milliards d’euros de subvention qui viennent en plus du budget de l’État, des aides européennes et des dispositifs fiscaux. Ils seront délivrés sur deux ans.
Pour la CFDT, le gouvernement ayant indiqué que la présence de l’État en départements était prioritaire, ce sont les effectifs des DRAAF et de l’administration centrale, pourtant indispensables au déploiement du plan de relance, qui vont subir les plus fortes baisses, avec -123 ETP sur le BOP 215. L’enseignement agricole technique, indispensable pour former les agriculteurs et réussir les transitions écologique, sanitaire et alimentaire, va encore perdre des moyens, avec -80 ETP sur le BOP 143. Ce sont des signes négatifs peu encourageants pour tous les agents. Les services ne peuvent plus accomplir convenablement leurs missions, et ce depuis plusieurs années. Depuis 2014, hors transfert, ce sont 11,5% des effectifs du BOP 215 qui ont été supprimés. Quelle organisation peut continuer dans une telle perspective, sans dégradation des conditions de travail, et avec des services de ressources humaines complètement submergés, entraînant des retards et une multiplication des erreurs qui deviennent insupportables pour l’ensemble de la communauté de travail ?
Sur les emplois, le ministre a conscience que les organisations syndicales attendaient plus, mais il explique avoir obtenu un maintien de la trajectoire définie il y a un an et demi, sans aggravation de cette trajectoire. Il est par ailleurs revenu sur des sujets qui lui semblent essentiels.
La mobilisation des crédits européens jusqu’en 2024, avec près de 500 millions d’euros mobilisés par le ministère, venant en contrepartie des crédits européens pour notamment l’ICHN, les MAEC, la conversion bio, les investissements dans les exploitations et les investissements forestiers.
Au-delà du plan de relance dont 200 millions d’euros sont dédiés à la forêt, une hausse des crédits est allouée à la politique forestière avec 250 millions pour le respect des engagements de l’État dans le COP de l’ONF, le renforcement des autres moyens d’intervention (FSFB) et le financement destiné à la crise des scolytes.
Grace à ce budget et au plan de relance, le ministère aurait des moyens d’action importants… Effectivement, cela va contraindre à mettre beaucoup d’énergie pour décliner ce plan de relance, pour délivrer l’ensemble de ces crédits et, enfin, pour terminer les négociations de la PAC.
Concernant les opérateurs du MAA, pas de surprise non plus pour la nouvelle baisse de leur plafond d’emploi, excepté pour l’Anses avec + 22 ETP. Effort toutefois insuffisant pour cette agence à qui l’on transfère toujours plus de missions sans jamais mesurer les besoins réellement nécessaires pour les mener à bien.
Concernant l’Inao, opérateur original, par son histoire, par son mode de gouvernance professionnelle et par ses missions, devons-nous comprendre que son système de financement bipartite sera maintenu ? La demande des professionnels sous SIQO a-t-elle été entendue ? Cette co-gouvernance d’une politique agricole de qualité fait pourtant la fierté de la France.
Concernant l’IFCE, qui perd 180 ETP, comment imaginez-vous couvrir les missions qui restent à cet institut ?
Sur ces différents points concernant les établissements publics, le ministre ne s’est pas attardé et n’avait pas d’annonces à faire. Il a juste réaffirmé la force qu’avaient les agences et les établissements publics pour le ministère.
Les agents ne pourront pas mener tout de front. La CFDT ne se satisfait pas de ce constat.
Monsieur le ministre, avec ce PLF 2021, force est de constater que le fonctionnement fortement « dégradé » va encore s’aggraver au détriment des usagers et de la qualité de vie au travail des agents. Quelles missions allez-vous supprimer, quelles solutions allez-vous trouver pour que les 5 missions fixées à l’enseignement agricole soient conduites et que les services n’explosent pas ?
Sur ces points, l’inquiétude était partagée par toutes les organisations syndicales ; le ministre n’y a pas donné de réponses.
Au premier rang des services au bord du gouffre, se trouvent les services RH. Depuis le passage à RenoiRH, les difficultés diverses et variées s’enchaînent, ayant pour conséquences une charge de travail pour les agents en charge des payes, des primes, des bascule au Rifseep, etc.
Le comble a sans doute été la mobilité DGER conduite jusqu’au cœur de l’été. La CFDT ne met pas en cause l’implication et les compétences des agents, de la DGER, du SRH ou de la SDSI. Le système d’information de la DGER est obsolète, vieillissant et inopérable entre les différents services. Cette urgence, nous l’avons pointée lors de notre rendez-vous du 14 septembre. Des mesures urgentes s’imposent notamment pour envisager un cycle de mobilité apaisé pour la rentrée 2021.
Le ministre a indiqué avoir conscience que certains services étaient en tension. Il a lié sa réponse à l’apport que fera le plan numérique pour la simplification et la sécurisation des procédures. Le plan de transformation numérique est un réel levier. Il faudra tirer l’ensemble des enseignements de la crise en matière de qualité de vie au travail, de procédures. Le plan numérique devrait là aussi apporter des solutions.
Le schéma d’emploi à la baisse fixé avant la crise sanitaire paraît désormais en total décalage avec les besoins et les enjeux du plan de relance, qui doit s’appuyer sur toutes les compétences métiers et être soutenu par la formation initiale et continue grâce au formidable réseau que constitue l’enseignement agricole public.
Le ministre a réaffirmé son attachement à l’enseignement agricole, en insistant sur le fait que la baisse des effectifs apprenants de cette rentrée ne lui avait pas facilité la tâche pour négocier avec Bercy. La qualité de l’accueil très inclusif de l’enseignement agricole n’est pas assez prise en compte ; 25 ETP d’AESH sont budgétés. Il a rappelé que 18 ETP étaient créés pour l’enseignement supérieur, pour la mise en œuvre de la réforme du cursus vétérinaire, dont la prépa intégrée.
Les 10 millions d’euros affectés à la communication pour valoriser l’enseignement agricole, pour valoriser les métiers, pour valoriser la qualité de l’enseignement et de l’accompagnement ne seront pas efficients si le nombre d’ETP est maintenu à la baisse. Le plan « l’Aventure du vivant » n’a pas abouti et n’a pas été évalué qu’un autre plan s’ajoute.
Faire plus et mieux avec moins va devenir une équation impossible, que ce soit pour l’enseignement technique, supérieur ou pour la recherche.
Le nombre croissant d’agents contractuels en situation précaire et en mobilité permanente ne fait qu’aggraver la situation.
Le ministre a fait part de son constat du nombre trop important d’agents contractuels en CDD. Un plan de cédéisation est à l’étude.
Le nombre d’ETP à la baisse dans tous les SRFD fait que des missions ne sont plus assurées, coopération, animation de réseau, ingénierie… qu’en sera-t-il avec la mise en œuvre de ce PLF ?
Les exploitations agricoles, les ateliers technologiques, les CFA et les CFPPA, pour beaucoup en difficulté financière, attendent avec impatience un plan d’accompagnement post-crise ; qu’en est-il ? Il ne semble pas faire partie de ce plan de relance.
Les difficultés des différents centres constitutifs et des SRFD n’ont pas été évoquées.
Concernant un sujet d’actualité, dans le contexte particulier d’une circulation rapide de la Covid-19, la CFDT vous demande de faire appliquer la dernière note de service « modalités d’organisation du travail » qui privilégie notamment le télétravail exceptionnel pour tous les agents, encadrement compris et dans l’enseignement agricole. Sa mise en œuvre est actuellement trop différente d’une structure à l’autre pour des situations « Covid » comparables, et notamment en Île-de-France.
L’hostilité vis-à-vis du télétravail de certains managers qui limitent drastiquement son déploiement paraît totalement déplacée, face au risque d’une deuxième vague épidémique. Comme l’a dit ce dimanche le ministre de la Santé, « il ne faut pas avoir peur du télétravail ».
Concernant le télétravail, le ministre souhaite que l’on tire les enseignements de la période de crise actuelle et qu’un juste équilibre soit trouvé afin que les structures et les agents soient gagnants. Cette analyse sera menée par le secrétariat général cet automne, avec les organisations syndicales… Il n’a pas d’idées préconçues mais insiste sur les effets induits sur la vie sociale, collégiale et personnelle.
Enfin, pour gagner la bataille de l’emploi durable, la CFDT plaide pour des plateformes d’expérimentation de projets innovants au plus près des réalités des bassins d’emploi, en matière de formation et d’innovation.
Le directeur-adjoint du cabinet a rebondi sur cette proposition qu’il faudrait creuser.
Ce plan de relance de 100 milliards sur deux ans ne comprend pas de contreparties, entre autres en matière d’emploi. La CFDT réaffirme la nécessité de contreparties pour les entreprises qui bénéficieront des aides du plan de relance.
En conclusion, le ministre note que les organisations syndicales ne remettent pas en cause les objectifs de souveraineté et d’indépendance portés par le gouvernement pour l’agriculture. Il réaffirme que la trajectoire des effectifs a été maintenue, ce qui n’était pas acquis lors des discussions budgétaires.
Il souhaite que des conclusions sur la crise soient tirées en matière de télétravail et de numérisation, dans la concertation et sans a priori. Concernant la loi de transformation de la fonction publique, il souhaite que les bilans prévus soient réalisés au cours du dernier trimestre, en distinguant ce qui relève des difficultés liées à la Covid-19 et des difficultés structurelles.
Le ministre souhaite avancer sur plusieurs sujets du domaine de compétences du secrétariat général : télétravail, bilan de la loi de transformation de la fonction publique (mobilité, promotion…), numérisation, bilan suite à la mise en place des nouveaux systèmes de primes…
La CFDT remercie le ministre pour son écoute et compte sur sa détermination pour réussir les transitions indispensables pour réorienter les modèles agricoles et pour conduire à des pratiques à haute valeur environnementale et sociétale.
La CFDT attend également avec impatience que les sujets qui sont du ressort du secrétariat général soient abordés dans un délai raisonnable, afin de faire bouger les lignes qui, à ce jour, ne la satisfont pas (télétravail, mobilité au fil de l’eau, Rifseep, transparence sur les mobilités et les promotions…).